APOPHÉNIE
Edited by MOBILAB Gallery
2016
Présentation
Images
Jusqu’à récemment, le travail photographique de Daniela Droz se composaient d’images dont l’origine étaient à chercher du côté de ces travaux de commande. De ces images commerciales, la mise en valeur des objets dans un environnement conçu avec soin est primordiale. Cependant, rare sont les regards qui s’arrêtent sur ces constructions éphémères, quelques fois fragiles. Ces constructions qu’élabore Daniela Droz se caractérisent par un assemblage de formes et de lignes géométriques créées par la confrontation de plans colorés composés de plaques de miroirs,
de plexiglas ou de plaques de forex jouant avec des effets lumineux.
Sa série Back-Grounds, initiée en 2010, présente ces « décors » dégagés de leur fonction promotionnelle et leur attribue un statut d’oeuvre à part entière flirtant avec l’esthétique de l’art concret avec qui il partage son intérêt pour la ligne, la couleur et la surface.
Pour sa nouvelle série, Apophénie, Daniela Droz continue sa recherche de l’abstraction non plus cette fois en créant de nouveaux décors mais en fabriquant un dispositif optique des plus classique, même si le sien semble bien plus complexe : un miroir. Le miroir est également un objet des plus ambigu tant il est associé à la restitution immédiate et fidèle d’une image inversée produite par sa surface réfléchissante.
Mais le miroir est aussi associé à tout un ensemble de croyance et de phénomène le faisant tantôt basculer du côté du divinatoire, la catoptromancie, tantôt dans celui de l’étrange par les effets optiques qu’il peut provoquer. Il est en effet courant de le voir lié à des apparitions imprévues et inquiétantes ou de le trouver associé à des troubles de l’identité. Le miroir crée une distance qui permet tout un ensemble de projections et d’immersion à l’image du miroir liquide dans Le sang du poète de Jean Cocteau.
Ajoutons que le titre choisi par Daniela Droz, Apophénie, renvoie à une pathologie souvent exprimées au cinéma dans les films de suspens ou d’horreur, comme dans The Haunted Mirror (1945) de Robert Hamer, et qui consiste à voir quelque chose qui n’est pas là. C’est ainsi une altération manifeste de la perception.
Prenant ceci comme point de départ, Daniela Droz semble amorcer sa série comme si elle reprenait son travail à l’envers. Ses constructions géométriques sont cette fois si d’abords conçue dans l’objet lui même, comme une construction en 3d de ses images précédentes. Le miroir de Daniela Droz s’appuie sur l’apophénie et ses illusions. Lame de métal aiguisé, il fend l’espace qu’il décompose autant par sa surface réfléchissante que par ses structures brillantes qui semblent elles-mêmes maintenir un miroir. Illusion.
Son aspect acéré, menaçant, n’est pas sans nous renvoyer à la légendaire scène d’introduction d’Un chien andalou (1929) de Luis Buñuel et de Salvador Dalí dans laquelle un nuage effilé coupe la lune avant qu’une lame de rasoir fende un oeil. Ici, c’est notre regard qui semble être fendu tant notre perception visuelle s’en ressort troublée. Le miroir de Daniela Droz, par sa dynamique et sa tension, crée par la relation étroite entre ce qui fait image, le reflet, et les effets phénoménologiques, l’illusion en l’occurrence, qui lui sont corolaires un champ d’expérimentation du voir inédit.
De cet objet aussi fascinant qu’inquiétant est réalisé un ensemble de nouvelles photographies énigmatiques où l’espace se confronte au regard dans une joute où il n’est jamais permis d’être certain de la victoire de l’un comme de l’autre. C’est une plongée au tréfonds de nos limites visuelles qu’elles nous invitent.
Texte: Marco Costantini